Le droit à la déconnexion, mythe ou réalité à l'ère du travail à distance ? 

Le droit à la déconnexion représente un enjeu de QVT majeur à l’heure du travail à distance et du brouillage des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle. S’agit-il d’un vœu pieux ou peut-on vraiment l’appliquer ? Au-delà du fait que le droit à la déconnexion représente une obligation légale, inviter les collaborateurs à « débrancher » représente sans conteste un réel bénéfice pour eux et pour l’entreprise.

Depuis quelques années, le mot « déconnexion » a pris une tonalité nouvelle : il est principalement associé au numérique. Dorénavant, quand on dit vouloir se déconnecter, on comprend bien de quoi il s’agit : rompre pendant un temps avec internet, les réseaux sociaux et autres messageries instantanées. Il faut dire que nous utilisons ces outils de plus en plus ! Selon le rapport annuel 2023 de Data.ai, les Français ont passé en 2022, en moyenne, 3,9 heures par jour sur leur smartphone contre 2,7 heures en 2019, soit une hausse de 45%. Cet outil qui a investi nos vies a également bouleversé notre rapport au travail, tout comme les ordinateurs portables en leur temps. Dans les transports, le soir dans son canapé, il est aujourd’hui si simple, smartphone en main, de prolonger sa journée de travail… A cela s’ajoute encore la “Zoom fatigue” : les visioconférences ont largement pris la place du simple “coup de téléphone” et rajoutent encore du temps numérique.

Une obligation légale…

Pour garantir le respect des temps de repos et de congé, protéger la vie personnelle et familiale, et, plus largement, la santé des collaborateurs, le droit à la déconnexion est une disposition issue de la loi El Khomri dans la loi Travail du 8 août 2016. Depuis le 1er janvier 2017, la loi oblige les entreprises de plus de 50 salariés à mettre en place un accord sur la gestion de la disponibilité des salariés en dehors des horaires de travail dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO). À défaut, elles peuvent rédiger une charte qui définit les modalités de déconnexion.

Tous les salariés sont concernés, quel que soit leur temps de travail, y compris les managers et cadres de direction auxquels revient en outre un rôle d'exemplarité et de promotion des bonnes pratiques. Si l’entreprise n’engage pas de négociations, elle risque des sanctions financières. Si le droit à la déconnexion n’est pas respecté, le salarié peut saisir le conseil des Prud’hommes. En 2018, une entreprise spécialisée dans les services d’hygiène a ainsi été condamnée à verser plus de 60 000 € de dédommagements à un salarié contraint de rester connecté.

… même pour le travail à distance

Le droit à la déconnexion est également valable dans le cadre du travail à distance qui s’est fortement développé depuis la pandémie. Selon l'Insee, en 2022, 19% des salariés ont télétravaillé au moins un jour par semaine, et pour ceux qui pratiquent le télétravail régulièrement, la pratique semble se stabiliser autour de 2 jours par semaine. Si la généralisation nouvelle de cette pratique est synonyme de flexibilité, travailler à distance n’est pas toujours sans conséquence. En effet, chez soi le cadre est moins « structurant » qu’au bureau : le temps de transport ne rythme plus la journée, le rituel de la pause déjeuner avec les collègues n’existe plus… La tendance à enchaîner une journée continue, aux frontières floues, est donc d’autant plus importante. L’éloignement physique de l’entreprise peut également créer une forme de culpabilité et le besoin d’être toujours informé de ce qui se passe, et donc développer chez certains le syndrome FOMO (pour « fear of missing out » ou « la peur de rater quelque chose »), qui amplifie alors le besoin d’être connecté “en continu”.

De l’importance de déconnecter

L’absence de déconnexion stimule en permanence notre cerveau qui peut connaître alors une fatigue mentale. Les signes ? Impatience, difficultés de concentration, troubles du sommeil, fatigue… et cela peut aller jusqu’à l’apparition d’un état dépressif, voire d’un burn-out. Selon une étude réalisée début 2023 par OpinionWay pour le cabinet Empreinte Humaine, 44% des salariés se déclarent en situation de détresse psychologique. Se déconnecter est donc important pour sa santé, son équilibre personnel, les interactions avec les collègues et l’efficacité opérationnelle de l’ensemble de l’entreprise. Il s’agit d’un véritable enjeu actuel pour les ressources humaines, surtout dans la mesure où l’on enregistre en 2022 un taux record d’arrêts maladies posés (baromètre annuel « Absentéisme » de Malakoff Humanis). L’absence de déconnexion vient augmenter très nettement les risques psychosociaux.

Faîtes le test, où en êtes-vous à titre personnel ?

Comment préserver la déconnexion des collaborateurs ?

Les solutions à mettre en place pour faciliter le droit à la déconnexion des salariés sont variées, et peuvent être mises en place via une collaboration horizontale. L’employeur peut combiner différentes actions de sensibilisation:

  • Sensibiliser sur le respect des horaires d’envois de mails (tôt, tard dans la journée, week-end, congés, arrêt maladie)
  • Ajouter une mention dans les signatures de mails sur la dispense de réponse immédiate : “Si vous recevez ce mail en dehors de vos heures de travail ou pendant vos congés, vous n'avez pas à y répondre immédiatement, sauf en cas d'urgence exceptionnelle.”
  • Encore et toujours, sensibiliser à l’usage modéré du “répondre à tous”, qui concerne rarement tous les destinataires : pour limiter la connexion, limitons les mails et encourageons les échanges en direct au bureau ou au téléphone.
  • Organiser un atelier dédié avec un professionnel de l’addiction numérique.
  • Le blocage de l’accès à la messagerie en dehors des horaires de travail est possible mais peut se révéler impossible à mettre en œuvre selon l’activité de l’entreprise. Volkswagen en Allemagne a été amené à le mettre en œuvre.

Les managers jouent pour cela un rôle majeur. Ils doivent bien sûr montrer l’exemple mais aussi travailler avec leurs équipes sur l’organisation du travail à distance et notamment imposer des temps de déconnexion. Comme le conseille l’Institut national de la recherche et de la sécurité (INRS) dans son guide des bonnes pratiques en matière de télétravail il est primordial de se fixer des horaires, et surtout de préserver la pause déjeuner.

Le rôle majeur de la pause déjeuner

Pour 79% des salariés interrogés dans le cadre de l’étude Sodexo / Toqla « Les salariés et le déjeuner au travail », la pause déjeuner, située au milieu d’une journée de travail, représente un vrai temps de déconnexion ! Il est par ailleurs intéressant de noter que, plus le temps de pause est court (moins de 30 minutes), moins la pause déjeuner est considérée comme un vrai temps de déconnexion, d’où également l’importance de se ménager un temps de repas suffisant (45 minutes ou plus).

Le premier bénéfice accordé à cette pause (26%) est de permettre de relâcher la pression et la charge mentale qui pèse sur la journée de travail. Cela est particulièrement parlant lorsqu’on remarque que, chez 56% des salariés à qui il arrive de sauter la pause déjeuner, c’est la charge de travail qui vient provoquer ce manque ! D’où l’importance pour les directions de Ressources Humaines, dans une optique de sauvegarde du droit à la déconnexion, de sensibiliser les collaborateurs à l’intérêt de la pause déjeuner, et de véritablement baliser ce moment comme un temps à part.

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